Évasion
Vendredi 20 juin, 18h30 : des amis avec lesquels je prévoyais de faire du canoë dimanche traînent la patte. Le téléphone sonne. « Allô, c'est Jérôme Saada. » Hein ? Kissa ? « Tu t'es inscrit pour être bénévole à la JD. Tu viens ? » Aaaaheu..., ben oui ! Résumons : inscrit au club depuis un an, je craignais de déranger la mailing liste hyper-active et un déco de champions avec mon seul petit stage d'initiation en poche. Il fallait l'occasion. Un timide clic sur une page web quelques mois plus tôt. Et voilà !
Le lendemain matin, Jérôme me briefe sur quelques membres de l'équipe. Premier contact avec le groupe à 8h30 à Orgeval. Qui est le seul en jean et en grosses chaussures montantes, à votre avis ? Je retrouve Karim, que j'ai déjà croisé sur les pentes de Beynes. En route pour Vierville-sur-Mer, nous poursuivons les présentations du groupe, et partageons des infos plus techniques. Il faut aussi gérer le covoiturage, une voiture n'étant pas partie. En approchant de notre destination, le jeu consiste à estimer le vent en observant les éoliennes, les feuilles d'arbres, le ballon rouge et blanc qui ballote au virage de l'autoroute. Ça fouette, là, non ?
Vers 11h45, je fais mes premiers pas sur un déco officiel de la FFVL : une sorte de trois-quart de piscine d'herbes moyennes, 30 mètres de largeur pour 50 de profondeur bordée d'un talus haut de 75cm à 2,5m, donnant directement sur les orties et, plus bas, la mer. Benoît m'invite à faire un vol en bi ; mon premier bi ! Je ne me souviens plus du décollage, et rétrospectivement, c'est plutôt bon signe. Vol impeccable, ciel bleu azur, mer bleue mer, plage quasi-déserte de sable lisse, léchée sans relâche par l'Atlantique. Mon pilote me montre les tâches dans les champs alentours, des épis de blé couchés par les rabattants. À l'atterrissage, j'apprends un terme de la communauté parapentiste : « fusible ». Victor sera le second.
Rock'n roll
Le barnum est déjà installé, Karim, dans son pantalon bouffant et ses espadrilles, s'est posté au barbeuk. Il faut déjeuner rapidement, les passagers étant attendus à partir de 13h. Ils arriveront en réalité au compte-goutte, moins nombreux et bien plus tard. Dans l'intervalle, les monoplaces se lancent et constatent que le vent est plutôt fort. J'intercepte un bout de briefing de Jérôme : « Mettez tous des gants, y compris les passagers, ça va remuer ». Élise et Nolwenn dirigent le listing plus les passagers plus la logistique plus les enfants. Les prénoms commencent à rentrer ; mais je cherche encore ma place... jusqu'à ce que Jérôme me charge de faire les photos pour le groupe et les passagers. On fait de bonnes batteries, de nos jours.
Certains parlent de 25 km/h de vent, et effectivement, les départs sont physiques. Priorité aux passagers « poids lourds », en espérant que le vent se fatigue avant nous. Laurent assiste systématiquement aux décollages et aux atterrissages. Je n'oserai la vidéo qu'un peu plus tard. En attendant, il n'est pas exceptionnel de décoller au deuxième ou troisième essai.
Au restaurant
Après ces émotions, l'énergie retombe doucement pendant que quelques mini-voiles continuent à profiter du vent qui s'est renforcé. Nous replions le barnum, certains repartent sur Paris, les autres rentrent au camping, où Victor et Benoît continuent le gonflage de leur voile. Le temps de prendre possession de nos bungalows et de nos douches, nous prenons la route pour le restaurant.
L'équipée peut enfin se poser, et contempler des visages rougeoyants. J'ai un peu de mal à réaliser la densité de la journée en kilomètres, en émotions et en nouveautés. Jérôme ouvre son powerpoint, distribue les fiches et trace des croquis savants sur un paperboard... Nan, je rigole ! C'est apéro, vin blanc et fruits de mer au service d'une ambiance absolument géniale. En ayant pu discuter un peu avec presque tout le monde, j'ai senti que les convives, réunies à différents titres autour du parapente, étaient toutes là avec leur personnalité unique, aussi riches et contrastées que si elles avaient été imaginées par un dramaturge inspiré. Comme le dira plus tard El Presidente, chacun trouve effectivement sa place dans cette chorégraphie bien huilée. Cette fois-ci, l'appareil photo m'a assigné la mienne. La prochaine fois, j'espère que ce sera mon aile.
L'absentéisme relatif des passagers de la journée surprend (10 vols sur 25 baptèmes prévus), mais « au final, c'est pas plus mal vu les conditions... ». Nous partageons une petite inquiétude en consultant les prévisions : dimanche devrait être encore plus venteux. Mieux vaut se lever tôt...
Un dimanche matin sur Vierville
À 8 heures, je suis apparemment le premier debout du bungalow. Je pars chercher du pain et ne reviens qu'à 9h30, le temps de faire un tour des environs. Tout le monde est déjà prêt au déco... sauf le vent qui, lui, a dû faire la fête de la musique de Vierville et a décidé que ce serait grasse mat'. La radio de Jean-Loup annonce 8 à 13 km/h sur le site de Commes. Pour moi, c'est parfait ! J'ouvre mon sac, m'harnache et déplie ma voile sans craindre de finir dans le maïs. Victor m'apprend à tenir les avants et les freins comme il faut ; j'essaie d'imiter la dextérité de mes voisins... Misère ! Julie, Victor, Karim et Jean-Loup doivent composer le déco avec un deltaplane dans les starting-blocs, et un piou-piou qui a les deux pieds dans la coquille.
Le vent reste insuffisant pendant le déjeuner. Tandis qu'un parapente radiocommandé anime le terrain, les passagers patientent en se demandant s'ils n'ont pas fait le voyage pour rien. Le bi d'Élémentair - l'école qui propose des baptêmes à partir du même site - fait le fusible. Il part d'abord seul, puis avec un passager, et vole au ras de la crête. On envoie à notre tour les poids plume... dont un super-plume et extra-spécial : Enzo réalise son premier vol de parapente avec son père ! Malgré son poids extra-light, il fait partie des trois parapentes (dont deux bi) qui iront se poser sur la plage.
Julie s'élance un peu plus tard, et devra elle aussi remonter à pied. Il s'est en fallu de peu, car en quelques dizaines de minutes, vers 14h, le vent se lève, retrouve son tonus de la veille, voire le dépasse. Sans transition, on passe au lourd.
On vient pour sauter
Le deltaplane décolle. Il fera régulièrement vrombir son aile au-dessus de nos têtes. De mon côté, je continue mon travail d'apprenti reporter en m'appliquant sur les passagers au décollage. Les visages restent parfois crispés. Est-ce la proximité d'un « photographe » indiscret ? La vue du vide qui s'étale à quelques mètres ? Ou encore la combinaison des deux... ? Cette fois-ci, Karim assiste Laurent pour compenser le recul du décollage et détendre l'atmosphère du tandem biplaceur-passager par quelques paroles rassurantes - « Pourquoi tu prends la voile déchirée ? ». David relève qu'il y a foule sur le glide : « Il faut prendre son ticket pour atterrir ! » , et chez les monoplaces, le retour au déco est fréquemment reporté, le vent ascendant étant si fort qu'il contrarie la descente. Avec du temps de vol en rab, les passagers affichent une mine tout sourire à l'atterrissage.
À deux reprises, des groupes annoncent en approchant : « Bonjour, on vient pour sauter ». Cash. « Alors pour sauter, c'est tout droit ; pour voler, c'est avec nous ou Élémentair ». Un des groupes amène un futur marié les yeux bandés tout au long du chemin jusqu'à l'aire de décollage. Et tout l'après-midi, les jeunes prennent le Soleil à côté du spot. Ce dimanche, aucun passager ne manque à l'appel.
Enzo compte et recompte les voiles en l'air : « 14 », « 15 », « 14 », « 14 », « 15 avec le deltaplane ! ». Les biplaceurs, eux, sont au taquet. Il faut expédier 25 passagers avant la fin de la journée. Jérôme, Benoît, David et Patrice ne feront pas de pause. Le vent reste énergique, et un doute subsiste sur la possibilité d'envoyer les deux derniers poids plumes, dont une passagère et Véronique, la copine de Karim qui nous a rejoint la veille.
Elle finira par s'envoler avec Benoît. Nous apprenons au même moment la bonne nouvelle : Victor et Karim reçoivent leur brevet de pilote par Françoise Lerique, l'examinatrice conviée par Jérôme à nous rejoindre à Vierville.
La journée et le week-end s'achèvent en beauté par quelques vols biplaces spéciaux : Nolwenn et Élise, emmenées respectivement par Benoît et Jérôme. Objectif encore une fois atteint : tous les passagers repartent avec de nouvelles émotions à partager. Certains souhaitent même franchir le pas et entamer leur formation de parapente.
Tu fais l'article ?
C'est fini. Une fois les affaires rangées, je ressens le coup de barre. Comme me l'avait prédit Jérôme, la frustration me prend aux tripes. Frustré de ne pas savoir manier ma voile pour taquiner les mouettes et les cieux. Frustré de ne pas pouvoir m'envoler à mon tour, quand bien même j'ai pris mon pied comme jamais. Une autre fois...
À voir les visages et les trajectoires de vol, ce fut clairement de belles journées découvertes pour les pilotes et les passagers : météo au beau fixe, vigoureuse, Soleil rayonnant... Que demander de plus ? J'ai bien fait un vol biplace, mais soyons honnêtes : les passagers, les pilotes et biplaceurs auraient sans aucun doute relevé d'autres faits marquants pour un parapentiste-un-vrai-qui-vole. Les photos et vidéos prendront le relai.
Tout ceci n'est qu'un fragment de ce que j'ai vu et vécu. Et je n'ai vu et vécu qu'un fragment de ce qui s'est déroulé ce week-end. Que celles et ceux que je n'ai pu insérer dans ce récit me pardonnent : ils tressent tous les fils du fait marquant de ma première JD. Plus encore que du parapente, du bi ou de Vierville-sur-mer –, ce fut la découverte du groupe.
Formidable ! FooOOrmidaAablE !!